Malgré la grisaille et le froid parisien de ces jours-ci, c'est bien le printemps, comme en attestent les arbres en fleurs des parcs, jardins et jardinets.
Des beautés nous surprennent partout, même en poussant jusqu'aux lisières des forêts comme l'écrivain Philippe Annocque link qui a partagé ses photos avec ses lecteurs, ainsi cet enchantement blanc contre un ciel parfait :
On a pu voir ces jours-ci éclater le jaune vif des forsythias, le vieux rose si doux des cassis-fleurs, les pompons doubles rose bonbon des prunus.
Cette débauche de couleurs est bien éphémère et c'est sans doute ce qui en fait le prix...
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Un échange de commentaires sur des sites amis à propos des magnolias m'a amenée à jeter un oeil dans mes " Oeuvres imaginatives et poétiques complètes de Edgar Allan Poe ".
Après la belle histoire du jeune Ellison qui, déjà largement muni de dons moraux et matériels, hérita d'un parent éloigné d'une fortune prodigieuse qu'il consacra à la création d'un jardin-paysage " Le domaine d'Arnheim ", vient " Le cottage Landor ".
Je me souviens avoir dévoré les deux textes le même après-midi d'été de mes huit ans, fascinée par les descriptions de Poe, tour à tour quasiment cliniques ou merveilleusement poétiques, qui me marquèrent à vie ; la preuve, les relire me plonge dans la même sidération.
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A Arnheim, on est embarqué, au sens propre puisque c'est d'une barque, entraînée par la déclivité des lieux, que l'on découvre les paysages successifs.
" D'ordinaire, on se rendait à Arnheim par la rivière. Le visiteur quittait la ville de grand matin. Pendant l'avant-midi, il passait entre des rives d'une beauté tranquille et domestique, sur lesquelles paissaient d'innombrables moutons dont les toisons mouchetaient de blanc le gazon brillant des prairies ondulées... " Ensuite, cela se corse. Allez donc vérifier !
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Le Cottage Landor lui fait pendant, comme l'annonce l'auteur dès le titre et, là, le voyage se fait à pied pour découvrir une oeuvre "composée, dans laquelle le goût du critique le plus rigoureux aurait difficilement trouvé quelque chose à reprendre. "
Ma sidération, de plus, fut double car elle était aussi celle du narrateur éblouï :
" Le premier coup d'oeil ... me causa une impression presque semblable à celle que j'éprouvais quand, étant enfant, j'assistais à la scène finale de quelque mélodrame ou de quelque spectacle théâtral bien combiné. Rien n'y manquait, pas même la monstruosité de la couleur ; car la lumière du soleil jaillissait de l'ouverture, toute teintée de pourpre et d'orangé ; et le vert éclatant du gazon de la vallée était réfléchi, plus ou moins, sur tous les objets par ce rideau de vapeur, qui restait toujours suspendu dans les airs, comme s'il lui répugnait de s'éloigner d'un spectacle si miraculeusement beau. "
On avance jusqu'au fond d'une vallée où
l'on n'apercevait que trois arbres isolés ... dont " l'arbre le plus magnifique, sans aucun doute que j'aie vu
de ma vie ... C'était un tulipier à triple tronc, liriodendron tulipiferum, de l'ordre des
magnolias...
Il n'est rien qui puisse dépasser en beauté la forme et la couleur verte, éclatante, luisante, des feuilles du tulipier. Dans le cas en question, ces feuilles avaient bien huit bons pouces de large ; mais leur gloire elle-même était éclipsée par la splendeur fastueuse d'une extravangante floraison. Figurez-vous, étroitement condensé, un million de tulipes, des plus vastes et des plus resplendissantes !
Je n'ai jamais vu de tulipier mais cet arbre reste pour moi le top-modèle de la beauté car nos lectures de prédilection dessinent à vie notre paysage mental.