Quand on sort d'une 4ème relecture de Proust, on parcourt du doigt avec circonspection les ouvrages serrés sur les étagères de sa bibliothèque où l'on ne trouve finalement rien de bon à se mettre sous la dent dans l'immédiat... Il faut une cassure nette.
Je n'ai pas envie de me confronter en ce Dimanche d'Août aux flots de touristes arpentant le Marais pour rejoindre les " Cahiers de Colette " et comme j'ai la chance d'avoir tout près de chez moi une très bonne librairie : " Le Comptoir des Mots ", j'y fonce, sans idée préconçue de ce que je vais bien pouvoir en rapporter.
Tiens, un Florence Delay de Février 2010 chez Gallimard m'avait échappé malgré son titre, accrocheur pour une fumeuse, " Mes cendriers " dont la quatrième de couverture me paraît prometteuse : "Ode à la tabagie ou élégie aux cendres ? Portrait du temps qui fuit, qui part en fumée ? Mes cendriers est un livre inclassable...autoportrait où les cendriers servent de miroir." Je prends.
J'ajoute un Jean Rouaud que, vu son titre "Evangile (selon moi) ", j'avais évité à sa sortie en Mars 2010 du fait de ma grave allergie aux bondieuseries, ceci malgré mon attachement à l'auteur dès son premier opus en 1990 " Les champs d'honneur ", que j'avais plébiscité et "primé" avec enthousiasme bien avant qu'il obtienne le Goncourt !
Quand on aime un auteur, on ne résiste pas longtemps, alors je prends aussi.
Pour faire bonne mesure et pour la beauté attendue du titre : " Dans la forêt de Bavière ", je prends aussi cet Adalbert Stifter, dont je n'ai lu que " Brigitta " (chez le regretté Fourbis...) et le superbe " L'arrière-saison "(Gallimard).
Pressentant que ces trois ouvrages requerront un certain sérieux auquel je ne suis pas prête, je cueille à la dernière minute un noir d'un auteur irlandais inconnu de moi, Gerard Donovan :
" Julius Winsome " dont la 4ème de couverture me convainc ; c'est juste ce qu'il me faut pour une totale diversion de Proust :
" Julius Winsome vit seul avec son chien, Hobbes (!), au fin fond du Maine le plus sauvage. Eduqué dans le refus de la violence et l'amour des mots, ce doux quinquagénaire ne chasse pas, contrairement aux hommes virils de la région. Il se contente de chérir les milliers de livres qui tapissent son chalet. La vision de Hobbes ensanglanté et mourant le changera en tueur fou..."
Calée dans mon fauteuil d'osier sur le balcon, j'ai avalé goulûment les quelques 250 pages de ce bijou noir avec deux cafés idem.
Julius vit très isolé dans les collines glacées du Maine du Nord (cf Stephen King !) dans le chalet de sa mère morte en couches. Il a hérité de son grand-père les récits de la première guerre mondiale et un redoutable fusil Enfield et de son père, grand lecteur, trois mille deux cent quatre-vingt-deux livres reliés de cuir qui font tout son bonheur, malgré le vacarme des tirs des chasseurs dans la forêt toute proche ("chasseurs, gros cons").
Un après-midi d'Octobre, tout bascule, de l'amour dans la folie, la vengeance et la mort.
Premier roman paru en France, dont le style est d'une parfaite concision, en adéquation avec les coups de feu qui claquent à la première et à la dernière page.
Je n'oublierai pas Julius, mais je peux maintenant passer des forêts du Maine à la forêt de Bavière !