Certaldo (Italie) - 1981 : Boccaccio. Pasolini.
" J'ai toujours eu une espèce de repère, Pasolini, comme Rimbaud.
J'ai été invité par la ville de Certaldo. C'est là que Boccace a écrit le Décaméron et j'ai donc fait d'abord un travail sur le Décaméron, avec des gens nus qui grimpaient à toutes les maisons.
C'est une de mes rares interventions un peu drôles !
Et simultanément, en souvenir de cette présence de Pasolini là,
et du climat de cette ville à caractère un peu religieux, j'ai fait cette image de Pasolini ; comme un Christ renversé... (Note ci-dessous)
Bien que ma référence soit plutôt Picasso que Duchamp, je pense vraiment que mon travail, c'est comme un ready made : dans un ready made, on prend une chaise, on la met dans un musée et, parce qu'elle est dans un musée, elle devient le signe de La chaise. Et moi, je crois que je provoque une chose de cet ordre. Je pense que la présence du signe de l'Homme, que sont mes images mises dans un lieu, instille au lieu les caractéristiques d'un signe.
Je provoque un ready made sans passer par la case musée, mais c'est du même ordre !
N.B. : se souvenir qu'à l'aube du 2 Novembre 1975, l'immense écrivain, poète, dramaturge, essayiste, peintre et cinéaste, Pier Paolo Pasolini, avait été retrouvé mort, atrocement frappé et mutilé, sur un terrain vague aux abords de la plage d'Ostia, dans un décor extraordinairement identique à celui de son premier film. Troublant qu'il ait pressenti cette mort violente, accomplissement de son destin, comme un héros de l'Antiquité !
Marxiste et gay, c'était un perturbateur et un empêcheur de penser en rond : il fallait faire taire le prophète !
Les circonstances exactes de sa mort n'ont jamais été élucidées par les autorités politico-judiciaires de l'époque dans cette Italie Démocrate-Chrétienne et un jeune paumé, arrêté au volant de la voiture de PPP, a payé seul ce crime perpétré en réunion.
La voix (pourtant si douce) de Pasolini résonne encore trente-cinq ans après sa mort, car cet oiseau de mauvais augure avait dénoncé avec une bouleversante pertinence tous les maux qui atteignent nos sociétés actuelles . ( Relire ses Ecrits corsaires )
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Santiago (Chili). Pablo Neruda. 1981.
Quand il y a eu le coup d'état au Chili, nous avions accueilli des artistes chiliens à Paris.
Ils m'ont dit : " Tu sais, ceux qui sont restés là-bas se sentent coupés de tout ". Ils voyaient que je faisais des ateliers et des images et ils m'ont suggéré d'aller là-bas travailler avec leurs amis qui étaient restés à Santiago.
Donc, je suis allé là-bas. J'ai fait un atelier à Vitacura et là, comme une évidence, s'est imposée l'image de Pablo Neruda : il incarnait le Chili, la résistance, la poésie, tout ça.
Il y a eu. un moment incroyable ! Les amis m'ont dit : " Ecoute, on ne pourra pas mettre un visage de Neruda dans les rues de Santiago sans le montrer d'abord à Mathilde " . Alors, j'étais un peu impressionné.
Je suis rentré chez elle et je me suis trouvé en tête-à-tête avec Mathilde Neruda. Donc, j'ai déroulé mon dessin sur la table et Mathilde était en face. Elle était très belle, elle avait un côté Irène Papas, comme ça, enfin, elle m'impressionnait beaucoup... Alors je déroule le dessin et elle, elle reste silencieuse ; longtemps.
Enfin elle me dit : " Pablo n'était jamais comme ça. "
Alors moi, j'étais vraiment... Et elle reste toujours silencieuse...
Puis elle me dit : " Mais vous avez raison, aujourd'hui, il serait comme ça : grave et résolu ! "
Voilà. Elle m'a dit ça en français. Et après elle a dit : " On va boire. Je vous ai dit que Pablo n'était jamais comme ça, parce qu'il riait toujours. Quand on nous a expulsés, il est monté sur le bateau et il a dit : ' Champagne pour tout le monde ! ' et là, vous l'avez fait tellement grave... Mais, oui, vous avez raison ! " Voilà.
Ca a été un moment extraordinaire !
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Martigues. 1982 ---
A Martigues, j'étais invité par le Musée et dans les réserves du Musée j'ai trouvé un portrait de la fin du XIXème siècle, le portrait de la Martégale : c'était la femme type de Martigues. Il y avait quelque chose de très intense dans ses yeux, qui me paraissait comme profondément méditerranéen.
Mais à ce moment-là il y avait beaucoup de racisme dans le coin, on était à côté de Vitrolles, je me suis dit que cette femme pouvait aussi bien être de l'autre côté de la Méditerranée...
J'ai travaillé cette image-là et je l'ai collée à la fois dans des lieux qui affirmaient le côté provençal et dans des lieux qui annonçaient les bouleversements qu'allait amener l'arrivée de la pétrochimie, de la sidérurgie. Partout, des flammes...
Un truc qui m'a amené à repenser à l'image de Prométhée... "
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Prométhée... (promis :-) ce sera en suite 5, bientôt !