( c'est toujours l'artiste qui s'exprime ) :
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Prométhée. 1982
" Je suis parti de l'image du savant Oppenheimer. J'avais vu cette image où Oppenheimer est lui-même comme un oiseau : dans une conférence, pour parler du temps, je crois, il avait sauté ! et je suis parti de cette image que j'ai associée à des lieux qui portaient le feu, où des choses avaient l'air de sortir de la terre.
Les "Arbrorigènes". 1983
Pour le travail que j'avais fait dans les arbres, les Arbrorigènes, je m'étais rendu compte que j'avais fait des hommes et des femmes qui étaient des végétaux. Et j'ai découvert peu à peu, en le faisant, que j'avais traité un mythe universel : les hommes et les femmes naissent des arbres, ou le deviennent, comme Daphné, Narcisse...
Et ça m'avait fait mesurer à quel point je manquais de culture pour ce qui concerne la mythologie, les religions.
Je m'étais dit qu'il fallait que mon travail suivant permette d'interroger un peu tout ça.
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Napoli. 1988 à 1995.
En écoutant une émission de Philippe Hersant sur la musique napolitaine, j'ai été scié... Je me suis dit : voilà une ville qui a donné naissance à la musique de Gesualdo, la plus sophistiquée, la plus étrange, la plus incroyable, et à celle de Pergolèse, Cimarosa et, en même temps, à ... " Sole mio " !
Ce grand écart que porte cette ville...
J'ai pris un billet et deux jours après je suis allé à Naples, je me suis dit : je vais voir là, c'était vraiment une initiative sur un coup de coeur.
Si je travaille la nuit, c'est pour plusieurs raisons.
D'une part parce que le papier est très fragile, mais quand il est mouillé, rempli de colle, on peut le décoller comme ça, on le prend à la main et on l'enlève.
Et puis il y a une raison purement plastique. Quand je mets une image dans un lieu, je fais du lieu un espace plastique. Quand je suis là, la nuit, je suis comme un peintre qui a toute sa palette là. J'ai le lieu auquel j'ai réfléchi, j'ai l'image et je peux la mettre au centimètre près là où il faut parce que je sais comment les gens vont la découvrir et j'aime bien qu'elle soit découverte au matin...Si on colle dans la journée, ça désamorce un peu le projet.
Le travail de Naples a été un peu pour moi une interrogation sur ce qui fait une culture de méditerranéen que je n'avais pas avant. J'ai lu Virgile, l'Enéide...
Naples, en fait, permettait de réfléchir sur ces glissements entre mythe grec, mythe romain, mythe chrétien : au fond, tout du long,
c'est une interrogation là-dessus, sur ces représentations de la mort.
* Ange mutilé par un(e) pudibond(e) !
L'une des choses qui me plaisent dans mon travail, vraiment, c'est qu'il va disparaître...
Et c'était d'autant plus juste à Naples puisque je traitais beaucoup d'image liées à la mort. Donc, leur fragilité participait de tout ce que j'avais mis dans les dessins, qui parlaient de mort.
En les voyant, il y avait cette espèce de contradiction : on voyait que c'étaient des dessins très élaborés, très chargés de boulot, de références, de citations et puis on se rendait compte en même temps que c'était un papier pourri et que ça allait se mettre à disparaître...
Je joue beaucoup de cette contradiction, mais c'est un élément de ma palette.
Il y a chez Pasolini, ou Caravage, ce fait de traiter les grands thèmes bibliques avec des gens de la rue et c'était une évidence qu'en inscrivant mes images dans les rues de Naples il y avait cette filiation !
L'apparition d'une image dans la rue change le regard qu'on a sur les lieux. Les gens passent tous les jours dans une rue de Naples et tout d'un coup, il y a un personnage...
Alors, si le type sait que c'est David, ou Goliath, que c'est chargé de références à la Bible, au Caravage, c'est d'autant plus riche, mais la présence de l'image dans le lieu le fait regarder différemment, même pour quelqu'un qui ignore tout cela ! "
(d'après le Caravage, à droite :)
Pour effectuer ses collages nocturnes, Ernest Pignon-Ernest réalise des dessins préparatoires en nombre, qui démontrent ses extraordinaires capacités de dessinateur.
En voici quelques exemples :
Suite bientôt !!!