29 novembre 2009
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" Ce que le père a tu, le fils le proclame ; et souvent j'ai trouvé révélé par le fils le secret du père. " écrivait Nietzsche dans "Ainsi parlait Zarathoustra".
Cette citation figure en exergue du très beau livre de Michel Onfray " Esthétique du Pôle Nord ".
Or, je reçois à l'instant un courriel d'annulation du cours que Michel Onfray devait donner demain 30 Novembre : son père, Gaston Onfray, est décédé ce matin, 29 Novembre 2009...
C'est dans l'ordre des choses que de perdre ses parents et le décès de l'un d'entre eux entraîne un frisson d'effroi à la pensée que... la prochaine fois, ce sera moi ! L'événement nous atteint plus ou moins violemment selon que le décès est brutal et inadmissible, ou bien qu'il met opportunément fin à des souffrances intolérables, ou encore qu'il marque l'inéluctable point final de toute vie humaine. Dans tous les cas, l'intensité de notre propre souffrance dépend beaucoup de la qualité de la relation que nous avions avec notre parent.
En ce qui concerne Michel Onfray, peu enclin à l'étalage personnel, on se souviendra seulement avec émotion de ce qu'il dit - ici ou là dans ses livres - de ses parents, dont la dure condition d'exploités a, bien sûr, participé à sa première prise de conscience politique et à la saine révolte qui ne l'a pas quitté.
Relire la " Politique du rebelle. Traité de résistance et d'insoumission " est très éclairant et tout particulièrement roboratif.
L'envoi intitulé Fidélités de son " Esthétique du Pôle Nord " (Ed Grasset Janvier 2002) donne la mesure du respect et de l'amour qu'il portait à son père dont il a concrétisé le seul rêve formulé et il ne m'en voudra pas - ni son éditeur, j'espère ! - de le retranscrire ici in extenso :
" Depuis sa naissance le 29 janvier 1921, jamais mon père n'a quitté Chambois, son village natal normand ; jamais il n'a manifesté de désirs, d'envies, de souhaits ; jamais je ne l'ai vu récriminer ou se révolter contre son sort ; jamais je ne l'ai surpris dans la convoitise ; jamais il n'a maudit sa condition d'ouvrier agricole qui l'a condamné au dénuement ; jamais je ne l'ai vu dans le ressentiment à l'endroit du monde comme il va et qui l'a fait modeste, sans grade, sans voix, taciturne comme le sont viscéralement les gens de la terre, épuisés au travail, fatigués, éreintés.
Au milieu d'un champ où nous plantions des pommes de terre, sous le gazouillis d'alouettes époumonées, je lui avais demandé quelle destination il élirait si d'aventure un magicien se penchait sur son destin pour rendre possible ce voyage idéal. Il m'avait répondu : " Au Pôle Nord ". J'avais à peine dix ans, l'âge vers lequel il m'avait désigné, une nuit d'été, devant la porte de la maison où nous habitions, la présence scintillante de l'étoile polaire qui ne se couche pas, reste fixe dans le ciel et sert aux navigateurs pour ne pas perdre leur cap.
Pour ses quatre-vingts ans, je lui fis cadeau de ce voyage en Terre de Baffin, au-delà du cercle polaire - au pôle nord. Ces pages en racontent la partie émergée.
A mon père, donc. "
Que ce modeste article soit à Michel Onfray, dont j'aime à fréquenter la pensée ravigorante, la manifestation de mes pensées fraternelles.