Rappelons-nous cet homme, face à la caméra de Claude Lanzmann, racontant dans Shoah, avec une émotion intacte, l'échec de sa mission...
Il était polonais.
Il était résistant.
En 1942, il avait pénétré clandestinement dans le ghetto de Varsovie, guidé par deux résistants juifs qui qui le chargent de raconter aux Alliés ce qu'il y a découvert : les nazis ont entrepris d'exterminer tous les juifs d'Europe !
Il a rencontré les plus haut placés des Alliés.
Il leur a délivré ses informations.
Les Alliés savaient donc, dès 1942, mais les Alliés n'ont RIEN FAIT...
Yannick Haenel écrit en trois temps, comme dans une tragédie grecque.
1 - Il retranscrit les propos de Jan Karski devant la caméra de Lanzmann.
2 - Il résume la vie et l'itinéraire de Jan Karski tels que ce dernier les relate dès 1944 dans son propre livre.
3 - Il se met en complète empathie avec lui, utilisant le "Je" fictionnel pour supposer le désespoir de ce témoin - de ce "juste" - qui n'a pas réussi, malgré de
nombreuses conférences aux Etats-Unis, à convaincre de sinon interrompre du moins freiner le processus d'extermination quand il en était encore temps.
Yan Karski passe le reste de sa vie " dans la lueur assombrie d'une victoire ", comme professeur d'Histoire contemporaine, relié à son passé par la seule
contemplation, au musée, du magnifique petit tableau de Rembrandt intitulé : "Le cavalier polonais",
car le choix de la Pologne par les nazis pour y construire la plupart des camps d'extermination des juifs a aussi anéanti la Pologne ... que les Alliés n'ont pas sauvée non plus !
Le narrateur rappelle qu'à Londres, le seul à écouter vraiment Karski a été Szmul Zygielbojm, qui a ensuite déclaré à la BBC :
" Ce sera bientôt une honte de vivre et d'appartenir à l'espèce humaine si des mesures ne sont pas prises pour faire cesser le plus grand crime de l'histoire humaine " et
... il s'est suicidé.
Comme beaucoup plus tard Arthur Koestler.
Je pense aussi à Primo Levi qui, des années après ses terribles expériences des camps de Fossoli puis Monowitz à 10 kilomètres d'Auschwitz et son Odyssée de Katovice à Turin à travers la
Biélorussie et la Roumanie, passe sa vie à témoigner et finit par se suicider à son domicile en 1987...
Je ne peux décidément pas parler davantage de ce livre puissant et bouleversant (qui suscite des polémiques, et c'est tant mieux, car il faut parler de tout cela encore et toujours, pour ne
pas oublier).
Il faut simplement le lire, si ce n'est déjà fait ; de toute urgence en se posant cette question :.
" Comment un monde qui a laissé faire l'extermination des juifs peut-il se prétendre libre ? "
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Yannick Haenel : "Jan Karski. roman " NRF. Collection L'infini. Gallimard (Mai 2009)
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Jan Karski : " Story of a secret State " Emery Reeves. New York, 1944
Traduit
en français en 1948 " Histoire d'un état secret "
réédité
par les éd. Point de Mire. Collec Histoire : " Mon témoignage devant le monde ". 2004
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