Je suis encore sous le choc du magnifique spectacle de Pippo Delbono :
"La mensogna", le mensonge, vu - ou plutôt "vécu"- hier au théâtre du Rond-Point.

Elle résonne dans le micro comme un souffle apeuré et puissant, partagé entre ce qui le détruit et ce qui le pousse à vivre. A un moment, ce souffle va enfler et soutenir un cri hurlant semblable aux aboiements des chiens. Des spectateurs mettront alors les mains sur les oreilles pour résister à ce déchirement paroxystique accentué par la musique de l'ouverture de Tannhaüser, de Wagner, à fond.
Voilà de quoi est fait Le Mensonge, un spectacle déchirant, en noir et blanc. Noir des costumes et des masques, blanc de la chair nue et des flashs des photos que Pippo Delbono prend avec son téléphone portable.
Sur le plateau, on retrouve l'humanité qui accompagne les spectacles de l'Italien : des comédiens de profession et des gens comme Gianluca, trisomique, ou Bobo, microcéphale interné pendant quarante-cinq ans et devenu, grâce à Pippo, qui l'a sorti de l'asile, une des plus belles personnes qu'il soit donné de voir.
Désir de tout casser
Chacun a sa partition dans ce spectacle hanté par l'exploitation économique, le mensonge politique et le désir de tout casser dans une Italie où les prêtres s'allient avec un exhibitionnisme sordide au grand capital, dans une danse affreusement macabre.
A la fin, Pippo Delbono s'offre, nu comme un ver, tout près des spectateurs, en pleine lumière. On mesure la violence qu'il s'impose à son regard, qui met longtemps à affronter celui du public. Puis il s'en va vers le fond du plateau, là où les ouvriers entraient dans le noir de l'usine.
En frac et noeud papillon, Bobo vient le chercher. Il lui tend ses vêtements, le prend par la main, le fait s'habiller et l'emmène sur le devant du plateau. Juliette Gréco chante une douce chanson d'amour. Les deux hommes sont face aux spectateurs. "Parfois, je voudrais avoir la surdité de Bobo", a dit Pippo Delbono. Il termine en demandant pardon à son père, à qui il dédie le spectacle. "
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Et ce qu'en dit Pippo Delbono lui-même :
"Je ne suis ni un pessimiste, ni un désespéré. Je souhaite simplement que nous soyons plus lucides sur ce qui se passe autour de nous" Peut-on accepter de vivre sous la domination du mensonge ?" Dans ce nouveau spectacle, Pippo Delbono pousse un coup de gueule face au double langage des politiques et des médias. À l’origine de La Menzogna, il y a l’incendie de l’usine Thyssen-Krupp à Turin dans lequel périrent sept ouvriers. L’entreprise a refusé d’indemniser les familles en argumentant que les ouvriers étaient responsables de l’incendie. Pendant ce temps-là, la télévision exploitait les images du drame pour faire pleurer dans les chaumières. Partout, constate Pippo Delbono, règne le double langage : on dit une chose et on en fait une autre. À quoi servent l’émotion, le pathétique, si personne n’assume ses responsabilités ? Du coup, la réalité prend des allures de labyrinthe kafkaïen et cela à tous les niveaux de la société. On encourage le racisme. L’Eglise condamne l’homosexualité... Alors avec un minimum de mots, entouré de ses fidèles comédiens, Pippo Delbono invente des stratégies poétiques libératrices. Histoire de réveiller le public afin que chacun réagisse et rompe le cercle de la passivité. (Th du Rond-Point).
Infos pratiques : du Mercredi 20 janvier au 6 février 2010 - 20h30
Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault
2b av.
Franklin Roosevelt Paris 8ème (M° Champs Elysées)
Allez-y prendre un grand coup sur la tête, dans les tripes et au coeur...
Pippo Delbono nous tient " debout dans ce monde
(qu'on a) assis "
(ça, c'est du Ferré...) |