Hé bien pas moi, désolée !
Levée tard après une soirée un tantinet agitée - je n'ai pas dit arrosée, hein !, je
zappais ce matin entre deux baillements et je suis restée scotchée sur Arte (chaîne qu'il faudrait vite créer si elle n'existait pas) en voyant de grands malades qui, armés
de lance-pierres, essayaient de placer, très haut dans un arbre de la forêt tropicale humide de l'Equateur, des pièges destinés à capturer des... membracides.
" Membracides" ... ? Qué es eso ?
Des insectes minuscules aux formes délirantes dont la famille compte plus de 3500 espèces, voire 5000 selon le Dr
Stuart Mc Kamey qui dirige une expédition internationale en Amazonie pour comprendre les stratégies de survie des membracides et en inventorier le plus grand nombre d'espèces possible.
Soit dit en passant, les valeureux scientifiques sont équipés d'un matériel sophistiqué, mais leurs essais infructueux incitent un autochtone impatient à grimper pedibus
jambis dans l'arbre immense qu'il escalade vivement pour placer sur une branche maîtresse ledit piège à membracides et effectuer une impeccable descente-éclair...
Impressionnant ! Le ridicule ne tue pas les scientifiques qui ont d'autres compétences, mais quand même...
Ils estiment que ces animaux peuplent la surface de la planète depuis plus de 40 millions d'années...
Comment ont-ils pu survivre ? Car la vie des membracides n'est pas un long fleuve tranquille !
Ces insectes sont exclusivement végétariens. Ils pompent la sève des végétaux grâce à
leurs pièces buccales spécialisées : les stylets. Ils s'accrochent aux feuilles via de fortes pinces, percent les parois végétales avec leur
puissante pompe suceuse et régurgitent une partie de sève sous forme de goutte ambrée : le miellat, riche en sucre, en protéines et en acides
aminés, qui sert de nourriture à d'autres insectes tels que leurs copines fourmis, mais aussi à tous les hyménoptères.
Stratégie de survie n°1 des membracides, un deal : nourriture contre
protection,
Les mères membracides protègent leurs lymphes jusqu'à leur transformation qui se fait sous la haute bienveillance des fourmis intéressées par le miellat qu'elles viennent butiner en
titillant gentiment l'abdomen des membracides qui leur délivrent un précieux goutte-à-goutte.
Stratégie de survie n°2 : donner l'alerte.
Le moyen est bien connu des Huaramis locaux : ils tapent sur des troncs d'arbre pour communiquer, tout comme les membracides qui donnent des coups secs sur les tiges des plantes qu'ils
font vibrer ! Mais certaines abeilles captent leurs vibrations, attirées par le miellat ; danger !
Stratégie de survie n°3 : l'union fait la force.
Car il y a des parasites à foison, telle la guèpe qui pond ses lentes à l'intérieur des larves de membracides pour assurer la nourriture de sa progéniture. La femelle membracide, en pondant, émet
des susbstances qui incitent d'autres espèces à pondre à proximité, multipliant ainsi les chances de survie des larves qui ne sont alors pas les seules proies appétentes pour les
prédateurs.
La mère surveille sa ponte et ses larves, tout en pratiquant dans la tige des plantes de petits trous destinés à faciliter l'écoulement de la sève nourricière.
Stratégie de survie n°4 : se défendre avec des sons.
Les techniques de pointe en matière de son, liées à l'imagination des scientifiques opiniâtres permettent d'incroyables expériences. Ainsi, le bricolage insensé de pièces d'un
vieux gramophone les a conduits à fabriquer de minuscules microphones de contact avec lesquels ils ont pu enregistrer des roucoulades de parades amoureuses ou les manoeuvres dissuasives des
femelles qui activent les membranes de leurs ailes, tant pour faire fuir les prédateurs que pour communiquer avec leurs larves. Elles réagissent même contre le pinceau du scientifique
auquel elles appliquent un bon coup !
Les membracides organisent en revanche des soirées cocktail où les chercheurs croûlent sous des sons à foison.
Ces insectes, qui doivent aussi filtrer les sons parasites des autes espèces, témoignent d'un très haut niveau de communication et de
socialisation !
Stratégie de survie n°5 : s'adapter collectivement à son biotope.
Les premières expériences scientifiques ont été menées dans la canopée inondée de soleil, aux 2300m d'altitude de la Cordillière des Andes, situation agréable aux membracides, même si
l'on y trouve peu de leurs amies foumis.
Autre milieu, à 1328m en dessous, 5h du matin, par 30° humides, dans une forêt de montagne vers Quito où les conditions sont tout autres ; c'est la forêt des brouillards à la végétation
luxuriante mais à l'environnement plus rude pour nos bestioles qui subissent davantage les variations de temps.
En revanche, des fourmis à la pelle, donc associations, d'où survie. Ainsi, lorsque l'on émet le bruit d'une mère en défense devant les fourmis, elles se précipitent et
attaquent...le micro !
Par ailleurs, si l'on enregistre le bruit de la femelle sur une plante, le mâle, d'abord désorienté, la cherche, puis ... prend l'appareil de diffusion pour une belle !
Ici, les scientifiques ne voient rien, mais ils captent : "Au secours" ou "Venez ici, il y a à manger".
Et pour la noce, alors là, c'est toute une affaire et l'on reste pantois d'émerveillement devant les étranges et fascinantes chansons qu'entonnent les mâles, une fois la belle
localisée : corne de brume, sublime chant de sirène - pardon !- de baleine, cocasse coassement de grenouille, coquet caquetage d'oiseau, chant d'amour fou mais un peu ridicule (!),
comme le bruit d'un petit ballon qui se dégonflerait. Et cet autre, à final suspect comme un cri d'Alien.
Les membracides "parlent" sur la
même fréquence que nous mais nous restent inaudibles sans matériel sophistiqué. On a pourtant beaucoup à apprendre d'eux : ils échangent, entre eux, avec les plantes, avec la
biosphère et c'est ainsi qu'ils ont pu survivre depuis 40 millions d'années, dans une merveilleuse fantasmagorie de formes et de couleurs !
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1) La forêt amazonienne regorge de ces animaux fantastiques à l'image des membracides : branche d'arbre ?
2) Ce mini monstre à la
physionomie étrange est doté d'un pronotum, une excroissance sur le dos : les membracides émettent des sons basés sur des fréquences comprises
entre 500 et 2000 hertz et, comme ils n'ont pas d'oreilles, ils véhiculent, grâce aux plantes, leurs messages sonores qui se transforment en ondes perçues par ce
pronotum.
3) Bocydium globulaire dispose d'un appendice particulier juché en haut de sa tête. Plusieurs bulbes velus garnissent son pronotum, ce ne sont en aucun cas
des yeux.
4) Pour pondre, les femelles Gerridius fowleri se regroupent sur une même tige. Elles couvent ensuite leur œufs sous la protection de
fourmis.
5) La femelle Heteronotus nigrogiganteus possède des épines surdimensionnées qui servent à mettre en garde les éventuels prédateurs !
6) Cette espèce de membracide, Umbelligerus peruviensis, possède un pronotum très atypique. Il forme des ramages sur la tête de l'insecte
semblables à des serres,dissuadant ainsi les prédateurs -comme les oiseaux- de l'avaler, car il passe difficilement dans le gosier !
7) Un vrai petit diable celui-là ! Hémikyptha, vrai vestige de la préhistoire !
8) Certains membracides poussent le mimétisme avec leur environnement
au point de ressembler à une feuille-morte sur place.
9) Enchophyllum cruentatum utilise des couleurs vives, rouge et orange, pour faire croire aux prédateurs qu'il est du poison. Malin
!
10) Les membracides sont les champions du camouflage. Les
chromatophores, des cellules pigmentaires, leur permettent de prendre la couleur de leur habit pour s'y confondre.
11)
En échange du miellat sécrété par les membracides, les fourmis leur apportent sécurité et protection surtout au moment de la ponte
des œufs : "association à bénéfice mutuel".
12) Grossis plusieurs milliers de fois grâce au microscope électronique, ces stylets avec leurs minuscules dents semblent prêts à
percer une feuille.
13) Grâce aux images prises au scanner, les scientifiques constatent
que le pronotum des membracides est généralement vide. On n'a pas encore percé les secrets de cet organe essentiel à la communication entre membracides...
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Pour en voir et savoir
plus :
--- Le reportage d'Arte était produit par Quincy Russell.
--- Une exposition "Mini monstres" se tient à la Bibliothèque de la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette depuis le 10 Janvier jusqu'à fin Février 2010.
--- Les superbes photos sont en majesté sur le site de Patrick Landmann :
http://patricklandmann.com
--- "Mini-monstres", un livre du même Patrick Landmann, Thierry Berrod et Yves Paccalet, a été édité
chez J. Di Sciullo. Terre des Sciences, paru le 24 Octobre 2009 (25 E)
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A méditer : " Les espèces ne sont pas immuables, tout comme les idées. "
Charles DARWIN
A noter : les membracides ne vivent que trois mois et se font la cour pendant
24 heures...
ça ne vous complexe pas ?
On peut écouter deux audios sidérants de leurs "vocalises" sur ce lien :
http://monalisanews.blogspot.com/2009/11/mini-monstres-en-amazonie-chants-de.html
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