(Oui, j'ai tardé, pardon ! mais : " Tout vient à point à qui sait attendre"...)
Alger. Parcours Maurice Audin. 2003
" J'ai été invité pour une exposition sur le thème de l'Algérie, dans laquelle il y avait beaucoup d'artistes algériens et dont l'idée était de traiter
l'Algérie aujourd'hui.
Je ne me sentais pas, en étant français et en ayant aussi été, en plus, militaire en Algérie !, de traiter de l'Algérie d'aujourd'hui. Je pensais que c'était
aux jeunes artistes algériens de se coltiner avec ces problèmes qu'ils ont et je pensais aussi qu'il y avait une grande nécessité d'apaiser nos relations avec l'Algérie - pays que j'aime
beaucoup - et qu'on ne peut pas le faire sur tous ces silences, tous ces non-dits de la torture, de tout ce qu'il s'est passé...
Alors une révélation, une nuit : il m'est apparu que le drame de Maurice Audin, probablement tué par des parachutistes français et dont on n'a jamais su ce qu'il
était devenu, donc que cet homme, ce corps disparu, incarnait tout ce silence, tout ce non-dit; "
Un film montre E. Pignon-Ernest en train de désigner à de très jeunes algérois l'immeuble où vivait Maurice Audin :
" C'est là qu'il a été arrêté par les parachuitistes. Sa femme m'a dit il y a quelques jours : Il est parti ce jour-là et je ne l'ai plus jamais revu..."
" Ce type est mort à 23 ans. Il avait déjà trois enfants, grand mathématicien, c'est un gâchis terrible ! et si on avait écouté des gens comme lui, on aurait
fait l'économie de tous ces drames. !
On a rencontré beaucoup de gens. L'un m'a dit qu'il avait été emprisonné avec Henri Alleg. Ils se sont mis à parler de leurs souvenirs, de la torture, des gens qui ont mon âge, la soixantaine, qui ont beaucoup plus souffert de la guerre d'Indépendance et d'autres, après ; c'est très
inégal.
Même Place Maurice Audin, les gens ne savaient pas qui il était, que c'était un martyr de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. J'étais un peu déçu...Certains
pensaient que c'était un nom français de la période coloniale...
C'est dommage !
Alors la présence de mes images dit l'absence ; son absence...
*
Parcours Genet. Brest. 2006
" Je me nourris plus de la lecture de Genet, ou de Desnos, que de la peinture ! Ce sont des choses qui contribuent à nourrir mon regard sur notre
monde. Leur poésie, leur écriture, c'est comme une espèce d'interrogation .
Genet, c'est comme un parcours, une façon d'interroger ce qu'il dit des hommes.
Dans mon dessin, il y a à la fois l'idée d'une rixe, d'une violence, d'une lutte et, en même temps, ça a l'air d'une descente de croix car, chez lui, il y a tout ça
: l'idée de la trahison et une quête de rituel et de sacré.
Je n'arrivais pas à exprimer ce qu'il y a dans son oeuvre à travers la représentation de sa personne, je ne saurais dire pourquoi.
Il y a, dans mon travail, une quête de spiritualité, c'est sûr. Dans mes derniers travaux sur les grandes mystiques, c'est plus explicite mais c'est déjà
là dans tout le travail sur Naples, dans d'autres images aussi."
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Extases. 2008
"Je suis athée, mais l'image de la mort s'incarne bien dans l'image du Christ. Même si l'on est athée, ça fait partie de notre culture. Toute l'histoire de la
peinture, de la musique, de l'architecture est nourrie de ça.
Mon premier voyage, à 18 ans, c'était à Tolède, à la cathédrale de Tolède, pour voir les Greco et le suivant a été à Florence pour voir les Simone Martini, Fra
Angelico, tout ça...
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Parcours Mahmoud Darwich. 2009
" Mahmoud Darwich était venu me voir et m'avait suggéré de venir moi aussi lui rendre visite à Ramallah.
La perspective était donc de le voir là-bas mais entre temps... il est mort ! Il devient un peu un mythe.
Quand je disais que Neruda était la voix du Chili, Mahmoud Darwich est la voix des Palestiniens. Il a vécu leur drame et il est leur parole."
( E. P-E colle le portrait de M. Darwich sur un mur et s'enquière du sens d'une affichette en arabe auprès de badauds
attroupés ) :
" Et l'on assassine la mémoire des choses : la pierre, le bois, le
verre,
le fer, le ciment volent en éclats comme les êtres. "
" Le coton, la soie, le lin, les cahiers, les livres se déchirent,
comme les mots que leurs propriétaires n'ont pas eu le temps de dire
"
( Les passants -surtout des hommes...- aident E. P-E à dérouler et à coller les portraits et tous reconnaissent Mahmoud
Darwich dont ils collent aussi avec plaisir et respect les extraits de poèmes :
" Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et lorsque nous respecterons
l'erreur. "
E. P-E leur demande si ce n'est pas mal compris, cet affichage et ces paroles. Les jeunes disent que non, que tout ça est vrai et ils
applaudissent.
Des gens plus âgés lui parlent, dont une femme, avec animation ; il fait signe qu'hélas il ne comprend pas leur langue.
Partout où il colle, on l'aide, on le félicite et on discute près du portrait sur la lecture des poèmes :
" Et la terre
se transmet comme la langue.
Notre histoire est notre histoire. "
Paris. Octobre 2009 : interview d'E. P-E :
" La surprise la plus grande, c'est la qualité de la réception de mon travail ! Je veux dire, tout le monde reconnaissait Mahmoud Darwich, même quand je collais à 11
heures du soir dans un marché, vraiment ! Donc, ce n'est pas une petite catégorie de gens qui le connaît, lui et son oeuvre.
C'est un peu l'idée qu'il est la parole de la Palestine et ça a dû lui poser problème, car les gens ont tendance à "réduire" son oeuvre à ça... alors
maintenant, je ne dis plus que c'est un poète palestinien mais un poète universel !
Je suis allé à Hébron, c'est une ville plus difficile, plus complexe que les autres, il me semble, et qui va donc exiger un travail plus long, c'est l'un
de mes objectifs si je retourne en Palestine, travailler sur Hébron.
Mais en même temps, j'ai d'autres choses en tête que je souhaite faire : il y a des villes abandonnées dans le désert d'Atacama au Chili et l'idée de faire des
images dans une ville où il n'y a personne me tente beaucoup ! Ce sont des villes chargées d'histoire, qui ont été des mines, des prisons... Je travaille en ce moment sur
toute une documentation.
Mais je voudrais aussi poursuivre mon parcours Desnos à Compiègne, à cause de ses poèmes et peut-être un jour à Terezin ..."
***
Cette série d'articles a été rédigée d'après, entre autres, le DVD du film intitulé
" Ernest Pignon-Ernest..PARCOURS " de Laurence Drummond et Patrick Chaput, édité par Plaisir d'Images en
2009. On peut se le procurer (voir leur site : www.plaisirdimages.fr) en
adressant un chèque de 30 E au 32 rue Falguière 75015 Paris.
On peut aussi en apprendre davantage sur le site de l'artiste http://www.pignonernest.com/ qui y liste tous les livres, films, etc à propos de son travail et y indique son
actualité.
De nombreux articles lui sont consacrés par d'autres auteurs passionnés, par exemple :
http://www.lesartistescontemporains.com/
http://imagesrevues.org/Article_Archive.php?id_article=11
J'espère avoir suffisamment suscité votre intérêt pour vous inciter à suivre l'actualité de ce dessinateur hors pair, poète et homme
engagé dans son époque - la nôtre.