
A - " En remontant la rue Vilin " -rue qui a entièrement disparu, comme de nombreuses rues de l'Est parisien qui s'effacent du plan, mais pas des souvenirs des plus anciens ...- est un film merveilleux de Robert Bober, une espèce d'enquête-montage d'après des photos de la rue Vilin, croisées avec des notes de Georges Perec qui avait un projet d'écriture très particulier à son sujet :
" Sur le flanc de Ménilmontant à Paris, la rue Vilin partait de la rue des Couronnes et, traçant sur 43 mètres une sorte de S inversé, débouchait sur la rue Piat par un escalier abrupt au sommet duquel on découvrait le plus beau panorama de la ville. C’est l’un des douze lieux parisiens dont Georges Perec avait, en 1969, projeté de décrire, douze ans durant, le devenir.
La rue Vilin n’est plus. À son emplacement se trouve désormais un vaste espace vert. Classée en 1863, elle avait, environ un siècle plus tard, été
déclarée îlot insalubre.
Et le 4 mars 1982, le lendemain même de la mort de Perec, la pioche des démolisseurs achevait de la démolir, abattant notamment le n° 24 où
l’écrivain avait passé les six premières années de sa vie et où sa mère, déportée à Auschwitz en 1942, tenait un salon de coiffure.
Avec "En remontant la rue Vilin", à l’aide de quelques 500 photographies prises sur des décennies, en la reliant à l’œuvre et à la biographie de Perec, Robert Bober tente
mimétiquement de dégager l’un des ressorts de sa démarche littéraire : nommer pour sauver de l’oubli, écrire pour témoigner de ce qui fut, "arracher quelques bribes précieuses au vide qui se
creuse "."
Revoir ce film ravive à chaque fois une intense émotion à laquelle n'ont pas échappé hier les spectateurs, instruits ou non de l'oeuvre de Georges Perec.
Il peut être visionné à la BNF (Fiche film n°1501 - 1992)
B - Dans "La vie
filmée. 1930-1934" on entend la voix de Perec commenter avec humour et tendresse de petits films
d'amateurs, témoignages d'une vie passée.
C - Dans " Rue de Crimée ", le jeune réalisateur Eric Watt, un peu à la manière
de Robert Bober, inventorie les boutiques de cette rue populaire et les gens qu'il y a croisés, tout en émaillant régulièrement le film de rappels historiques sur la guerre de
Crimée qui donna son nom à la rue.
Eric Watt, présent à cette séance, a exprimé ensuite son admiration vive de l'oeuvre de Georges Perec (lui-même grand amateur et auteur de cinéma ).
Il dit avoir voulu procéder à une espèce de tentative d'épuisement de cette rue, habitée et parcourue par des dizaines de différentes populations d'émigrés, thème
dont Perec ne parla pas directement mais évidemment sous-jacent dans son oeuvre.
Il a envoyé 400 lettres à divers habitants de la rue dont il a relevé "au feeling" les noms dans l'annuaire.
Très peu ont répondu mais ceux-là se sont volontiers exprimés.
Eric Watt dit qu'à partir du nom de guerre de cette rue, il a voulu " une utopie réalisée " : les habitants lui parlent de leur propre histoire, la croisent avec
celle des autres, en parlent entre eux et finissent ainsi par mieux se connaître.
La rue de Crimée n'a pas disparu, pas encore en tous cas, mais de nombreuses boutiques ferment les unes derrière les autres, remodelant continuellement le visage de la rue.
Ainsi celle du photographe qui, dépassé par l'arrivée du tout numérique, vendit précipitamment sa boutique avant même que le réalisateur n'ait eu le temps de lui dire au revoir...
Dans le sous-sol de la pizzeria (!) qui l'a remplacée doivent avoir été enterrés sous une chape de ciment des milliers de négatifs photos et le souvenir des gens qui voulurent
y faire fixer un moment de leur vie...
Cruelle métaphore de la disparition !